"Dear Mum and Dad..." (pv Stephen C.)

William avait quitté la salle commune sur la pointe des pieds après qu’il avait entendu l’un de ses condisciples de dortoir quitter la chambre. Il n’avait jamais été habitué à partager quoi que ce soit – et surtout pas l’endroit où se trouvait son lit – et il présageait déjà de longues nuits avant de ne pas ouvrir les yeux à chaque bruit que faisaient ses colocataires. Toujours est-il qu’en s’habillant au matin avec les autres garçons, il n’avait pas oublié de prendre son carnet et son stylo et que, pendant que les autres s’interrogeaient encore sur les livres et les plumes qu’ils devaient mettre dans leur sac, il avait quitté le dortoir en direction des étages inférieurs.
Au final, il s’était légèrement égaré depuis la Tour Ouest, où se trouvait la salle commune de Serdaigle, sur le chemin de la Grande Salle, plusieurs étages au-dessous, et il s’était retrouvé quelque part au troisième ou au quatrième étage, il n’aurait su le dire, en face de grandes portes surmontées d’une plaque où s’étirait en lettres capitales et tourmentées le mot « BIBLIOTHEQUE ».
Souriant malgré lui, Will s’avança, regarda la montre à son poignet qui marquait les secondes égrenées de son tic-tac silencieux, et jugea qu’il aurait bien assez le temps de visiter cette pièce qui s’avérait prometteuse et aller ensuite prendre son petit déjeuner – nom de nom, qu’est-ce que le garçon dans le lit d’à côté s’était réveillé tôt !

D’un geste un peu hésitant, il poussa l’une des doubles-portes, qui s’ouvrit avec un léger grincement. Il fit un pas à l’intérieur de la vaste salle et jeta un regard circulaire. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement. La bibliothèque de Poudlard n’était pas immense, comme il s’y était attendu. Elle était littéralement labyrinthique, et devait au bas mot contenir des dizaines de milliers d’ouvrages sur des milliers d’étagères. S’y repérer, songea William, devait sans doute être au moins aussi difficile que de retrouver son chemin dans le château, mais peu lui importait de ne pas avoir de carte ou de quelque moyen de localiser la sortie. Fasciné, il remonta la bandoulière de son sac sur son épaule et s’enfonça plus avant entre deux rangées d’étagères. Les livres étaient multicolores, certains dans un cuir terni, d’autres à la couverture étincelante. De temps à autre, tandis qu’il progressait lentement le long d’un tapis de couleur pourpre qui étouffait le bruit de ses pas, il levait une main vers l’une des rangées de livres pour effleurer du bout du doigt un titre ou un auteur dont il se rappelait avoir lu le nom quelque part, au manoir Cornfoot. Il régnait en ces lieux un silence religieux, comme dans la Cathédrale de Durham qu’il avait visité une fois, mais peut-être n’était-ce dû qu’à l’heure matinale, ou au fait qu’on était seulement le premier jour de cours.

Il venait à peine de se faire cette réflexion qu’un bruit assourdissant retentit, à deux rangées de là où il se trouvait, comme une dégringolade – de livres ou d’un étudiant, il n’aurait su le dire. Attiré par le vacarme, il parcourut rapidement la distance qui le séparait de l’épicentre. Il y avait là deux étudiants, manifestement tous deux de première année, un garçon, qui tenait dans ses mains une pile de livres en équilibre instable, et une fille, qui était étalée par terre au milieu de livres éparpillés, et qui avait manifestement reçu sur la tête Dilemmes de la sorcellerie insolite et leurs solutions.
Il se mordit la lèvre pour ne pas rire à la mine déconfite de la jeune fille – Poufsouffle, à en juger d’après la couleur de sa cravate – et s’éclaircit vaguement la gorge pour signaler sa présence. Il vit l’étudiant avec sa pile vacillante d’ouvrages lever les yeux vers lui, prendre le livre que lui tendait toujours bravement la fille aux cheveux blonds, s’excuser et s’éloigner pour poser quelque part le fruit de ses recherches. William mesura les dégâts d’un coup d’œil, estima qu’ils n’étaient pas assez importants pour déclencher la fureur de la légendaire Mrs. Pince s’ils parvenaient à tout remettre en place avant qu’elle n’arrive sur les lieux, attirée par le tumulte. Il jeta un regard par-dessus son épaule et se pencha pour prendre dans sa main gauche un lourd volume relié de cuir bordeaux, tandis qu’il tendait l’autre vers la jeune fille pour l’aider à se relever.

- Ca va ? demanda-t-il, ignorant une bande d’élèves qui les observait en pouffant.

William soutint la jeune fille pendant quelques instants, fixant son front avec un vague froncement de sourcils, comme s’il s’attendait à y voir d’un instant à l’autre apparaître une bosse de la taille d’un œuf de pigeon – ce qui, quand on tenait compte de la taille de l’ouvrage qui avait dû lui emboutir le crâne, n’aurait rien eu d’étonnant – puis il se reprit et casa le livre qu’il avait ramassé par terre dans l’emplacement qui lui était réservé ; il avait à peine conscience des explications embrouillées que la Poufsouffle bredouillait en rougissant pendant qu’elle l’aidait à remettre en place les livres qui traînaient encore sur le sol, mais il en saisissait l’essentiel – suffisamment en tout cas pour comprendre qu’il ferait mieux de vérifier que les livres qu’elle rangeait ne risquaient pas de leur dégringoler dessus.

- Ce n’est rien, marmonna-t-il. Ca ne me dérange pas.

Il se tourna une fraction de seconde vers elle pour lui faire un vague sourire qui, il l’espérait, suffirait à dissiper la gêne que la jeune fille semblait éprouver et qui lui donnait la couleur pour le moins intéressante des pivoines enchantées que sa mère faisait pousser dans la serre. Et, avant d’avoir pu s’en empêcher :

- Mais si tu préfères, on peut toujours dire que je fais ça pour le bien de la communauté – pour m’assurer que tu ne fais pas tomber l’étagère.

A peine avait-il prononcé ces mots qu’il s’assena une gifle mentale. Avait-il vraiment besoin d’enfoncer le clou – quand bien même la jeune fille semblait être abonnée aux catastrophes en tout genre ? Cette fois, ce fut lui qui sentit ses joues s’empourprer, et il se mordit la lèvre devant sa maladresse. Il détourna les yeux et rangea l’un des derniers grimoires dans son rayonnage.

- Oublie, lâcha-t-il, un peu brusquement. Euh – il s’éclaircit la gorge – peut-être qu’on devrait s’éclipser avant qu’il ne vienne à Mrs. Pince l’idée de venir faire un tour par ici.

Il doutait que la redoutable bibliothécaire à silhouette de vautour apprécie la façon dont l’un des coins du livre qu’il tenait encore était corné après sa rencontre fortuite, et peut-être un peu brusque, avec le sol de pierre. Mais ils avaient cessé d’être le centre de l’attention générale et Will avait la très nette certitude que plus tôt ils s’arrangeraient pour disparaître discrètement un ou deux rayons plus loin, mieux cela vaudrait.